Faites une pause, c’est l’édito de Christopher Dembik !
Des raisons d’être optimiste
Nous sommes résolument dans le camp des optimistes. L’économie mondiale fait preuve d’une résilience incroyable. Aux Etats-Unis, même si la demande commence un peu à s’épuiser, le consommateur américain affiche un dynamisme impressionnant alors que l’inflation reste à des niveaux élevés (autour de 6 % en variation annuelle).
La Chine ne sera pas le relais de croissance qu’elle a été en 2010 (lorsque le monde sortait à peine de l’effondrement économique et financier lié aux subprimes). Mais elle va contribuer à soutenir l’activité. Avant la Covid, la Chine représentait environ 30 % de l’impulsion de croissance au niveau mondial (le niveau combiné des Etats-Unis et de la zone euro). Après Covid, sa part est tombée autour de 20 %. C’est toutefois important. La relance chinoise va passer par un soutien accru au secteur de l’immobilier (qui est à la base de l’activité économique, comme aux Etats-Unis).
Il faut s’attendre à des mesures afin d’accroître l’accès à la propriété
Il faut s’attendre à des mesures afin d’accroître l’accès à la propriété (baisse des taux des prêts hypothécaires et assouplissement des conditions d’accès au crédit) et à la réduction de la complexité administrative régissant le secteur de la construction (en particulier dans les zones rurales). Notre pari, c’est que l’ampleur de la relance budgétaire et monétaire chinoise sera probablement similaire à celle observée après la triple dévaluation du yuan en 2015 (d’au moins 5 % du PIB chinois). Ce sera un facteur stabilisant pour l’économie mondiale cette année et en 2024.
Plus proche de nous, la situation est aussi loin d’être catastrophique. Prenons l’exemple du Royaume-Uni. C’est LE pays en difficulté en Europe à cause du choix du Brexit. Et pourtant, même le Royaume-Uni pourrait éviter de justesse la récession cette année si les prix de l’énergie continuent de chuter. Ce n’est pas notre scénario central (nous tablons sur une baisse du PIB d’environ 0,6 % en 2023). Mais c’est tout à fait possible. En trois mois, nous sommes passés d’une récession mondiale à une croissance terne. L’ajustement brutal et important en un laps de temps réduit des projections économiques montre à quel point l’exercice de prévision est compliqué. Il y a toujours une part de chance. Je parle en connaissance de cause. J’ai eu à deux reprises le prix de meilleur prévisionniste pour la France (2015) et pour l’Allemagne (2019) décerné par Reuters. Cela suppose du travail de modélisation (on ne peut pas passer outre) mais aussi un peu de chance. Toutefois, un tel écart de prévisions en trois mois est inhabituel. Cela souligne aussi que nous sommes face à un cycle économique atypique. D’où une marge d’erreur élevée.
Un cycle économique atypique
La pandémie a complètement faussé le fonctionnement normal de l’économie. Cela va avoir un effet sur l’inflation et la croissance à long terme. Une reprise de courte durée en forme de « K » a suivi la dépression résultant des confinements opérés au niveau mondial pour éviter une tragédie humaine – voir le graphique ci-dessous.
Les mesures de relance pour mettre l’économie sous cloche étaient nécessaires (5 milliards de dollars pour les Etats-Unis, par exemple !). Mais elles ont provoqué une période d’inflation « permanente » (en partie structurelle). Il ne s’agit pas d’une répétition des années 1970. A l’époque, la boucle prix-salaires a entretenu le cycle inflationniste (dans la plupart des pays européens, les salaires étaient automatiquement indexés à l’inflation). Ce n’est pas le cas aujourd’hui en zone euro.
La récession tant crainte ne s’est pas produite
La récession tant crainte ne s’est pas produite jusqu’à présent et pourrait ne pas survenir à court terme. Les choses commencent progressivement à revenir à la normale, notamment au niveau des chaînes d’approvisionnement et des tarifs du commerce international (ces derniers reviennent à leur niveau d’avant-crise). Mais certains déséquilibres persistent, en particulier au niveau de la main d’œuvre dans les pays anglo-saxons et en Europe centrale et orientale. S’ajoute à cela une accélération du processus de démondialisation (avec le friendshoring – qui consiste à délocaliser dans des pays plus proches du point de vue géographique et stratégique sans uniquement se focaliser sur les intérêts économiques).
Ce qui est inquiétant, c’est si nous sommes confrontés à un cycle atypique
Enfin, même si nous doutons que l’année 2023 sera celle du risque géopolitique, la situation en Ukraine reste toujours en toile de fond. Certains de ces déséquilibres sont structurels et ne vont pas se volatiliser du jour au lendemain. Ce qui m’inquiète, ce n’est pas tant d’être confronté à une période de récession. Après tout, les acteurs économiques savent gérer ce type de situation. C’est un moment pénible mais nécessaire pour le bon fonctionnement du capitalisme. Ce qui est inquiétant, c’est si nous sommes confrontés à un cycle atypique marqué par des périodes d’expansion et de contraction de l’activité qui oscillent rapidement, avec une croissance tendanciellement très basse et un taux de chômage en hausse mais faible (car les entreprises ne veulent pas laisser partir les salariés qu’elles ont eu tant de mal à recruter).
Si cela se produit, ce qui est mon scénario, ce sera très compliqué pour les investisseurs, les banques centrales et les entreprises à appréhender (en particulier si le coût du capital continue de croître). Les manuels d’économie et le recours à l’histoire économique récente ne seront d’aucun recours. Ce sera un nouvel environnement économique (aussi inédit que la période de pandémie) qui va nécessiter de faire preuve de flexibilité et d’inventivité. Heureusement, nous avons démontré ces deux qualités au cours des dernières années !